Parole de paysan : un hymne à la terre, à la joie et à la révolte

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Mesdames, Messieurs, politiques, associatifs, syndicalistes et citoyens, je vous écris cette lettre que vous lirez peut-être…

 

Paysan berger corse, qui vous accueille sur son camping ou son gîte depuis des années, Jean-Yves s'adresse aujourd'hui à toutes et tous dans une lettre forte qui parle de la condition paysanne et de sa vision du monde actuel. 

 

 

Petit paradis !

Combien de fois l'ai-je entendu : « OH, c'est un paradis ici... ». Cet endroit, ce petit paradis pour ceux qui ne le connaissent pas, c'est l'Aliva (olivier en langue corse. Arbre de prospérité et de paix). Le lieu est situé entre Sagone et Vico, route des Caldanelles, entre mer et montagnes, en Corse du sud.
Mais combien de temps encore peut-il durer, ce petit paradis, implanté, au cœur même d'une ruralité déserte, abandonnée, malmenée, comme cette Corse « Île de beauté », mais aussi de terres gelées, de maisons vides qui tombent en ruine, aidée par l'indivision, et puis cette désertification qui s'accroisse, avec des grandes distributions qui fleurissent plus que des champs de blés, détruisant les solidarités entre consom'acteurs et producteurs...

Alors entre productivisme et précarité la ruralité est à réinventer.

Nous sommes arrivés sur ces terres en 1978 avec un bébé de 3 mois dans les bras. Partis de Saint-André d’Orcinu où un feu avait tout détruit, il a fallu, dans un premier temps retaper la maison, vivre sans eau et sans électricité. Les terres étaient abandonnées depuis très longtemps. Donc, il a fallu, pour se nourrir : défricher, planter des arbres fruitiers, des oliviers et semer à tout va… Le but était d'être autonome, au moins sur la nourriture. Un troupeau de chèvres, un grand poulailler...La vie quoi ! Loin des clichés, mais vivre avec le vivant. Nous sommes restés 15 ans sur cet endroit, avant d’être expulsés de ces terres, où trois enfants ont grandi aussi…
Nous avons recommencé à zéro, sur d’autres terres en contrebas. Une fois de plus, recommencer les mêmes gestes de paysan et de berger pour vivre !!!
Je suis paysan, mais aussi artisan. Donc, un atelier de cuir s'est créé, un éco-camping « accueil paysan » a vu le jour il y a 7 ans, et c'est ma compagne Laura qui s’en occupe.
De plus une bibliothèque est en train de voir le jour, pour faire le lien : Agri - Culture.

Pour vivre paysan, il faut se diversifier pour s'en sortir sans devenir riche!! Nous squattons une partie de ces terres depuis plus de 40 ans et c’est là que j’ai besoin d’aides, administratives, juridiques et autres. J’ai besoin de vous pour que ces TERRES nourricières ne soient pas abandonnées. La loi Trentenaire fait qu’aujourd’hui, nous ne pouvons pas être expulsés ... c’est une chance ! Le but c'est d'officialiser avec les propriétaires originaires de Murzu, que j'ai rencontrés plusieurs fois. L’idéal serait qu’ils vendent, ils sont d’accord sur le principe, mais pour l’instant ils ne bougent pas, ce qui bloque tout projets…
L’idée serait qu’une autre famille s’installe, avec un projet de vie agricole vivrière pour aller vers un collectif, pour être plus forts et solidaires. Les terres squattées sont de deux parcelles de 3ha500, chacune. Nous y avons planté 40 oliviers, et arbres fruitiers de toutes variétés depuis notre arrivée.

Le foncier est un des gros problème en Corse, cette terre qui est vouée au feu , à la bétonisation et à la spéculation, alors qu'il faudrait faciliter l'accès à la terre pour des paysannes et paysans qui veulent s'installer tout en privilégiant le droit d'usage sur le droit de propriété. Alors oui, une autre Corse est possible, car il ne reste plus que quelques résistants, souvent âgés pour perpétuer une manière de vivre où l'homme, le végétal et l'animal, le social et le culturel vivaient associés et non dissociés comme le provoque malheureusement l'abandon rural et l'accroissement des cités.

Ceci dans un pays où l'auto-suffisance alimentaire est une évidence, alors que l'assemblée de Corse parle d'autonomie...Mais de quelle autonomie parle-t-on !!?? L'Agriculture d'aujourd'hui a tourné le dos à un savoir-faire, donc à un savoir vivre. En France il y a de moins en moins d’agricultrices et d’agriculteurs pour nourrir de plus en plus de gens (2500000 en 1960, ils ne sont plus que 380000) exploitants agricoles… Ils portent bien leurs noms d'ailleurs, ils exploitent la terre en la polluant et pour certains exploitent des ouvriers agricoles. Il est temps d'aller vers une agriculture paysanne et une pratique de l'agro- écologie qui respecte la TERRE et la santé des humains.

Je ne me suis pas senti concerné par cette soit disant crise agricole, quand on sait qui est derrière certains de ces grands syndicats… Je n'ai pas entendu une seule fois le mot terre nourricière!! La Corse n'est pas en reste, elle est sinistrée par sa dépendance économique, par une politique du tout tourisme qui en fin de compte ne fait pas vivre le pays. Elle est aussi sinistrée par les déchets de plus en plus nombreux, mal gérés et qui polluent l'eau, la terre, l'air et qui à long terme auront des répercussions au niveau sanitaire. Les déchets sont un reflet d'une société malade, gérée par un système capitaliste...De plus, la paysannerie Corse est en voie de disparition : 5000 agriculteurs, agricultrices en 1990, 3000 en 2010… Combien seront-ils en 2030 ?

La Corse aurait pu être un laboratoire d'une agro-écologie. La terre ne manque pas, le climat y est tempéré même si le dérèglement climatique est d'actualité, l'eau ne manque pas mais elle aussi est très mal gérée, alors qu'elle est précieuse et qu'elle représente un enjeu essentiel pour l'avenir de la paysannerie. Nous pouvons démontrer qu'une agriculture paysanne à taille humaine peut nourrir les populations et peut procurer de nombreux bénéfices à cette société...

Je me revendique paysan activiste, on ne peut pas semer des graines sans penser à l'autre, ailleurs, qui vit des drames… Les migrants, les guerres de part le monde, cette Palestine qui souffre encore et encore, et la montée du fascisme qui me désespère… Alors oui, cette terre sacrée me donne le sourire malgré tout, en espérant qu'un autre monde sera possible....
A bella ciao !

Cette lettre sera aussi envoyée à tous les Maires, à la CTC, à tous les syndicats agricoles, aux associations, à Terre de Liens. Faites-la circuler sans modération, c’est plus qu’une lettre, c’est un cri ! Alors, je pense à mon oncle Chèchè TORRE, berger de Cuttolli qui a fait ce que je suis. A François Coudouel, berger d’Orto à l’esprit ouvert, à Larenzi Borgomani di Rennu qui nous a appris à faire des paniers tout en chantant. A la famille Susini di Rennu qui nous a appris à faire la charcuterie, et à Marie-Angèle Gaffory, qui nous ont ouvert leurs portes de l’Humanité.
Ces Corses ne sont plus… Ils représentaient « l’anima di a Corsica » et « di u populu corsu ».

Torre Jean-Yves "paysan activiste"

 

 

Auteur de cet article...

Accueil Paysan est un réseau associatif, les adhérent·es se mobilisent pour écrire les articles de la rubrique actus. Ainsi, cet article a été rédigé par...

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Jean-Yves Torre, adhérent de l'Aliva à Vico, en Corse.

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